Épisode 13
Numéro 202
de la collection Fantastique / SF / Aventure, 1987.
En deux mots
Dans un coin
reculé d’Irlande, à une date inconnue, un homme vit dans une maison immense en
compagnie de sa sœur. Il découvre peu à peu que l’endroit n’est pas normal – mais
alors, pas du tout – et qu’ils n’y sont pas seuls.
Longtemps
après, son journal est découvert dans les ruines par deux campeurs, qui le
remettent à leur ami Hodgson pour qu’il l’édite.
(Le livre
est paru en 1908, la découverte du manuscrit du Reclus est datée de 1877. Quant
à l’action proprement dite, elle se situe sans doute dans les années 1830 ou
1840, en tout cas à une époque où, si on voulait tirer plusieurs balles assez
vite, il fallait charger plusieurs fusils, et où l’on se préoccupait encore de
savoir si un pistolet était assez lourd pour servir de massue.)
Pourquoi
c’est bien
C’est
surtout très bizarre, parce que ce court roman assemble plusieurs séquences
qui s’imbriquent étrangement. Le Reclus défend sa maison assiégée par des
Choses ; il rêve et ses songes sont importants ; et surtout, il
traverse une longue séquence de visions cosmiques.
Hodgson ne
prend pas la peine d’expliquer comment ces trois niveaux s’emboîtent, tout en
donnant des indices et des pistes – mais je parie que trois lecteurs différents
auront au moins trois explications différentes à ce qu’ils viennent de lire.
Pour certains, ce sera perçu comme une faiblesse, d’autres y verront une force.
À ma première lecture, dans les années 80, ce flou m’avait gêné. Cette fois, je
l’ai trouvé séduisant.
Ce côté « anticartésien »
évacué, reste une flopée d’images impressionnantes, comme cette arène immense
dont les gradins sont peuplés de dieux en hibernation…
Pourquoi
c’est lovecraftien
C’est
surtout du fantastique cosmique d’avant Lovecraft. Ce dernier a tellement
marqué le genre qu’on a l’habitude de penser qu’il l’a créé. Surprise : Hodgson
le précède d’une trentaine d’années. Leurs univers ne se superposent pas complètement,
mais il y a assez de passerelles entre les deux pour que l’on se demande
parfois chez qui on se trouve.
Je parle de
« cosmique », et je n’utilise pas cet adjectif à la légère. L’un des
chapitres de La maison au bord du monde
s’intitule « La fin du système solaire », et décrit exactement ça en
quelques pages avant de passer à la suite. En l’occurrence, « la suite »
est une balade dans quelque chose qui pourrait être des Limbes ou un
purgatoire, suivi d’une comparution devant Dieu – ou peut-être simplement d’une
visite dans le gigantesque système double qui occupe le centre de l’univers…
Qu’en
pensait Lovecraft ?
En deux mots :
« La maison au bord du monde est
sans doute le chef-d’œuvre de Hodgson ». Je vous épargne la critique
détaillée, elle est truffée de « hideuses forces souterraines », « de
monstres hybrides et blasphématoires issus d’abîmes insoupçonnables »,
autrement dit dithyrambique selon les critères de Lovecraft. Quoi qu’il en
soit, il est certain qu'il l’avait lu et que c’est un livre qui l’avait marqué.
Pourquoi
c’est appeldecthulhien
Les
chapitres d’ouverture et de fermeture – la découverte du manuscrit et la courte
enquête qui permet de l’authentifier – pourraient sortir directement d’un
scénario.
La première
partie du manuscrit, le siège de la maison par des entités venues du Dehors,
est adaptable sans grand mal, ainsi que ses toutes dernières pages.
Reste la
partie centrale, où le narrateur est réduit au rôle de caméra qui voit les
millions d’années s’écouler et transcrit son expérience. C’est injouable tel
(et c’est d’autant plus facile à dire qu’il y a au moins un scénario de L’Appel de Cthulhu qui s’est essayé à
quelque chose de similaire : La lune
maléfique, dans le recueil Les Grands
Anciens).
En revanche,
il y a des quantités d’images et d’idées à y glaner. L’arène peuplée de dieux
morts ou endormis pourrait aussi bien être le vestiaire où Nyarlathotep range
les formes font il ne se sert pas. Les soleils géants au centre de l’univers
pourraient bien s’appeler Azathoth et Nyarlathotep. Et, bien sûr, la maison
elle-même, cette immense maison aux formes bizarres, qui semble exister dans
tous les espaces et tous les temps, mériterait qu’on se penche sur son cas…
Sur un plan
plus technique, ça vaut le coup de signaler un jeu intéressant entre le
manuscrit qui décrit les faits bruts, et les fausses « notes de l’éditeur »
qui s’efforce de les expliciter grâce à la science de 1908. C’est une technique
que les auteurs d’antiques manuscrits devraient garder en tête – décrire un
phénomène et y laisser des accroches pour que les investigateurs tirent des
conclusions, vraies ou fausses.
Bilan
Pour moi, La maison au bord du monde est un livre
à lire, mais avant de vous lancer, sachez qu’il ne plaira pas à tout le monde.
Si vous
aimez la logique et savoir que A s’emboîte avec B et C pour former l’image D,
vous risquez de tiquer. Si vous aimez l’action, un tiers du livre va vous
paraître chiant à mourir – et c’est ballot, parce que c’est le tiers où le
système solaire se désintègre.
En revanche,
si vous aimez laisser courir votre imagination pour combler les vides de ce que
vous venez de lire, vous serez séduit.
Quoi qu’il
en soit, il est très court : 152 pages dans cette édition, à comparer aux
presque 500 du Pays de la nuit. Du
coup, si vous vous êtes trompé, votre erreur sera plus facile à digérer…
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