Hellywood - Entrevue d'Emmanuel Gharbi

Entrevue Hellywood

Alors que la précommande participative du retour du fils de la vengeance d’Hellywood bat son plein, nous à HuMu, qui sommes à tu et à toi avec John Doe, avons eu envie de poser quelques questions à Emmanuel Gharbi, l’un des gros pontes derrière la création d’Hellywood, pour aller plus loin que notre premier article qui présentait rapidement le jeu.


HuMu : Alors, d’entrée, la question qui fâche : pourquoi elle n’est pas sortie toute de suite après le livre de base et l’écran, cette fameuse campagne ?
Emmanuel Gharbi : Elle n’était pas écrite, tout simplement. Oui, nous avons mis tout ce temps à la concevoir, l’écrire, la fignoler. Avec Raphaël Andere, nous avons été très gourmands sur « la Justice des Anges », nous avons vraiment cherché à faire notre campagne ultime, bien à nous. Des tas de personnages, des intrigues croisées, des ambiances différentes, des expérimentations dans la forme des scénarios… On ne s’est rien refusé. De tous les projets que j’ai menés avec John Doe, que ce soit aux textes ou à la direction éditoriale, ce fut en toute franchise le plus compliqué, le plus prenant mais aussi le plus passionnant. Il a fallu du temps pour que tout cela mûrisse et se mette en place. Par ailleurs, j’écris très lentement. J’ai parfois du mal à me mettre en condition et je doute énormément au point de rester en rade. Par-dessus ça, comme vous le savez, j’ai des soucis récurrents de santé un peu handicapants qui ont parfois pesés sur la conduite du projet. C’est Raphaël qui a tenu le flambeau, qui a su me relancer, me remotiver. Le bouquin lui doit énormément. Sans lui, je ne suis pas certain que j’aurais pu aller au bout.

HuMu : As-tu lu d’autres jeux inspirés de l’ambiance Noir avant d’écrire Hellywood et que leur reprochais-tu pour avoir besoin d’écrire un jeu à part entière ?
EG : L’envie de faire du Noir a toujours été présente. J’ai beaucoup joué à Shadowrun ou Cyberpunk dans cette optique d’ailleurs. J’avais lu Bloodshadows de WEG et c’était pile ce que je voulais éviter, c’était de la fantasy avant tout et des clichés hardboiled collés dessus. C’était fun, clairement, mais pas ce que je cherchais. J’avais été plus intéressé par Noir, un jeu assez confidentiel publié par Archon Games. Ce qui m’avait attiré, c’était l’absence de fantastique, la volonté affichée de faire du hardboiled pur et dur. Mais c’était surtout un système de jeu. Une ville générique, appelée The City, était proposée comme le centre des histoires mais sa description était bien trop sommaire. Les scénarios proposés partaient paradoxalement assez vite vers du pulp à la The Shadow. Encore une fois pas assez noir pour moi. Je me souviens surtout d’un gros encadré disant « attention, le Noir c’est sexiste et raciste alors on a volontairement gommé tout ça ». C’était complétement nier le caractère de révélateur social du hardboiled, comme si ces thèmes ne pouvaient pas être abordé de manière intelligente, sans tomber immédiatement dans l’apologie. Il y a eu aussi Edge of Midnight, paru alors que je testais Hellywood et dont on m’a dit qu’il avait pas mal de similitudes avec notre jeu. Du coup, je l’ai volontairement évité et je ne l’ai jamais lu depuis. Il a bonne réputation, je crois.

HuMu : La réédition du livre de base et de l’écran, ainsi que la sortie de la campagne tant attendue coïncide avec la traduction en anglais de la gamme. Est-ce que c’est la traduction qui a relancé la machine côté français ou bien c’est au contraire la sortie de la campagne qui a rendu la gamme suffisamment sexy pour les américains ?
EG : Ce fut un heureux hasard en réalité. Avec Raphaël, nous nous étions posé un ultimatum : soit nous finissions la campagne avant l’été 2016, soit nous ne la finissions jamais. Nous avons donc fait en sorte de boucler. Là s’est posé la question du financement. Ne nous ayant mis aucune limite, nous savions que ce serait un gros bouquin (400 pages finalement) et qu’il serait doublement compliqué à financer : par sa taille mais aussi par le fait que le livre de base était épuisé et donc indisponible. D’où le recours à la précommande participative. Or, au même moment, nous étions en contact avec Stewart Wieck, de Nocturnal Media, pour étudier la possibilité de traduire certains livres John Doe. Plusieurs jeux l’intéressaient dans notre catalogue. Lorsqu’il a su que Hellywood revenait, que nous ferions une précommande pour la campagne et le livre de base, il a décidé de lancer immédiatement la traduction pour que nous puissions communiquer et financer au même moment.

HuMu : Comment les Américains considèrent-ils Hellywood ? Ont-ils le même rapport avec Heaven Harbor que nous avons nous avec l’Europe fantasmée des Secrets de la 7ème Mer ou le Japon de Rokugan ?
EG : Difficile de répondre puisque le jeu n’est pas encore public. Il est évident que notre ville est un patchwork d’inspirations et de tout ce qui nous fait vibrer dans le mythe de la ville américaine. On y retrouve des morceaux de New York, Los Angeles et San Francisco. C’était l’une de mes peurs, dont je me suis immédiatement ouvert auprès de Stewart. Est-ce que notre vision d’Heaven Harbor tient la route ou est-ce que c’est la vision fantasmée et pleine de clichés d’une ville et d’une époque par deux frenchies ? Pour l’instant, il ne semble pas avoir rencontré d’écueils particuliers dans la traduction. Mais il a toute latitude pour suggérer des modifications si cela devait être le cas.

HuMu : La version anglaise est-elle différente de la version française ? Ont-ils changé des détails, ajouté des choses ?
EG : La traduction du livre de base est en cours, donc la réponse n’est peut-être pas définitive, mais pour l’instant, Stewart n’a demandé aucune modification des textes ou du cadre. 

HuMu : Il est un peu à la mode de se dire dans les milieux “élitistes” du JdR que de mettre du fantastique dans un contexte historique, c’est “commercial”. Pourtant, vous expliquez plutôt pas mal cette démarche dans le jeu. Est-ce que tu peux nous en dire plus pour ceux qui n’ont pas lu le livre de base ?
EG : Le fantastique dans Hellywood est volontairement light. Nous ne voulions pas qu’il donne un aspect « fantasy » à l’univers. Du coup, pas de pouvoirs magiques, pas de manifestations visuelles ou sonores. Le fantastique ajoute à la corruption de l’univers. On y traite avec des démons comme on traiterait avec un parrain de la mafia, pour obtenir des services. Pour ce faire, on passe par un invocateur qui, au fond, est une sorte d’avocat spécialisé dans le passage de deal avec les boss démoniaques, les Asservis. Et eux-mêmes utilisent leurs réseaux d’influence pour remplir leur part du marché plutôt que des manifestations surnaturelles. Des liens se tissent entre eux et le crime organisé, les lobbies des plus fortunés ou les politiques. Les démons ne sont pas ceux de la tradition judéochrétienne, ils n’ont finalement pris ce nom que parce que c’est celui qu’on leur a donné. Ce sont des êtres « d’ailleurs » qui ne sont intéressés que par une chose : nos émotions, dont ils se repaissent. Ils ne sont pas la source du mal. C’est un point très important. Le mal, il est en chaque homme et il provient de ses pulsions : ses envies, sa soif de pouvoir, d’argent, de statut… Les démons ne sont là que pour en profiter.
Le fantastique sert aussi de révélateur social. Je trouvais marrant de pouvoir traiter du racisme, par exemple, en mettant en scène des « non humains » - qui sont jouables - aux prises avec les préjugés, le rejet, voir la violence… là où dans la majorité des jeux medfan, tu trucides de la peau verte à tour de bras sans te poser la moindre question. Ce décalage me plaisait.
Dès le début, le fantastique faisait partie du projet, d’ailleurs. Il n’a pas été rajouté. Une des inspis principales du jeu était Angel Heart, le film d’Alan Parker. J’adore son glissement vers le surnaturel et l’utilisation de la figure du privé looser. Nous nous sommes finalement éloignés de la façon dont le surnaturel est utilisé dans le film (qui utilise Satan en personne, tout ça) mais j’espère que le jeu garde une partie de cette ambiance poisseuse et hallucinée.

HuMu : Hellywood, c’est Heaven Harbor. On en sait très peu sur ce qui se passe au-delà de la ville. Est-ce que cette sorte de huis clos se prête bien au JdR et quelles en sont les contraintes à connaître ?
EG : C’est en effet un des choix fondamentaux du jeu. La ville d’Heaven Harbor est partie intégrante de ce que nous voulions bâtir et transmettre. C’est un personnage aussi important que ceux incarnés par les joueurs. Sans elle, ils n’existent pas vraiment. C’est à la fois une sorte de matrice, de prison, de mère nourricière et de monstre avide. Nous voulions aboutir à un sentiment mélangé d’amour et de haine des personnages avec leur ville. C’est une ville gangrenée par la violence et la corruption. Construite sur des ossements, elle continue à broyer ses habitants les plus faibles. Pourtant c’est leur ville, ils ne s’imaginent pas ailleurs. Ils y sont totalement dépendants. Elle fait partie d’eux. C’est pour cela que nous l’avons décrite très précisément dans le livre de base. Dans la campagne, nous allons plus loin, on lui sort les tripes, on expose son passé, ses compromissions… C’est une proposition de JdR un peu particulière : creuser un cadre, en soulever chaque pelure au lieu de changer d’endroit.

HuMu : Entre la sortie du jeu et la sortie de la campagne, il se sera passé presque 8 ans. Qu’est-ce qui a changé pour toi en tant qu’auteur pendant ces huit ans et en quoi la Justice des Anges de 2016 est différente de ce qu’aurait pu être la Justice des Anges de 2008 ?
EG : Je n’ai pas écrit grand-chose depuis 2008. Pas de jeu complet en tout cas. J’ai surtout aidé à concrétiser les jeux d’autres auteurs au sein de John Doe. J’écris en ce moment, sur divers thèmes, mais je n’ai pas encore réellement décidé de la forme que ça prendra, ni même si ça doit sortir sous une forme quelconque. Je suis en pleine réflexion là-dessus. Faire un jeu au format classique, avec des illustrations, des scénarios détaillés, je ne suis plus sûr d’en avoir très envie. J’aimerais revenir vers autre chose, de peut-être plus simple, plus organique. Pas que je n’apprécie pas un beau bouquin. Le boulot graphique sur la gamme Hellywood est bluffant, j’adore et j’ai hâte d’avoir le bon gros bouquin cartonné entre les mains. Mais pour la suite, je ne sais pas, j’ai envie d’autre chose mais je ne sais pas encore quoi. J’ai envie de proposer des choses au MJ mais de le laisser libre de l’investir comme il le veut.
Donc je ne suis pas sûr que, si je devais lancer son écriture en 2016, la Justice des Anges existerait, tout simplement.


HuMu : Le péril des grosses campagnes, c’est un certain dirigisme de conception qui peut rebuter des joueurs habitués à contrôler la destinée de leurs personnages. Comment avez-vous adressé ce péril dans la Justice des Anges et (le cas échéant) comment avez-vous évité l'écueil ?
EG : Sur une campagne de 12 épisodes, tu as forcément un fil directeur, d’autant plus que nous avons voulu que les 12 parties racontent une grande histoire, aux nombreuses ramifications. Ce ne sont pas 12 scénars indépendants. La toile de fond est riche, les MJ vont avoir du boulot. Il se passe plein de chose en parallèle des actions des joueurs. Certains événements arrivent à un moment précis. Par contre, les joueurs restent libres de leurs choix en permanence, jusqu’à la fin. Il y a plein de moments dans la campagne où tu peux prendre parti pour tel PNJ ou tel autre, ou tu peux accepter ou refuser des deals, voir négocier les tiens. Tu peux même imaginer qu’ils fassent des choix divergents. Les joueurs peuvent décider de s’attarder sur un pan de l’histoire, s’investir dans la campagne électorale ou pas, en modulant leur degré d’implication. Beaucoup de choix, dont certains n‘ont pas de « bonnes solutions », vont se poser à eux. Je pense sincèrement que deux campagnes jouées en parallèle n’aboutiront pas du tout à la même chose.

HuMu : Le hardboiled est un genre “solitaire”. Les héros sont souvent seuls, ne font confiance à personne (et surtout pas à la dame aux longs cils qui leur amène l’affaire). Comment concilier cette contrainte du genre avec la notion de groupe de joueurs ?
EG : Il existe de nombreux exemples de groupe dans le Noir, même si en effet la figure tutélaire du privé à la Chandler ou à la Hammett est celle d’un cynique solitaire. Les bouquins de James Ellroy, comme le Quator de Los Angeles ou la Trilogie Underworld sont l’une des inspirations majeures du jeu et de la campagne. Chaque bouquin (sauf peut-être le dernier du Quator) suit un groupe de personnages. Disparates, parfois même hostiles les uns aux autres, ils sont rassemblés par une adversité commune qui dépassent leurs oppositions. Ce qui ne les empêche pas d’entretenir des agendas séparés ou même de se trahir. Chez Dennis Lehane, l’autre grosse inspi de la campagne, tu suis un couple, Kenzie et Gennaro, souvent complété par leur pote Bubba le frappadingue. Le Noir n’impose pas forcément le héros solitaire. Par contre, il suggère clairement le « nous contre le reste du monde ». Ça, c’est essentiel. Les héros d’Hellywood sont hors des cadres moraux du reste de la société. Dans la campagne nous proposons au meneur de donner aux personnages un passé commun, un drame fondateur qui les rapproche et les cimente tout en les mettant d’emblée à part.

HuMu : La campagne sera-t-elle l’ultime ouvrage de la gamme ou bien vous en avez encore sous le pied ?
EG : Je n’ai pas de projets précis pour ma part, même si j’ai potentiellement plusieurs scénarios en tête. Je sais que Raphaël a encore de très bonnes idées sous le coude donc il est tout à fait possible que du suivi arrive par la suite, mais je ne peux vous dire sous quelle forme ni quel délai.

HuMu : Hellywood est dans le top 20 des jeux les mieux notés sur le Grog. Étonnamment, c’est un jeu qui est peu pratiqué, on ne lit jamais de compte-rendu de partie, on ne le voit pas en convention, les fans n’ont pas créé une publication non-officielle... A-t-on donc affaire à un pur succès d’estime ou bien as-tu des preuves que c’est un jeu qui est concrètement joué ?
EG : C’est compliqué. Je n’ai pas la réponse. Comme d’autres jeux récents, qui peuvent avoir un vrai succès d’estime, Hellywood est sans doute peu joué de manière régulière. Les raisons, je ne saurais les dire. Beaucoup de sorties ? Un thème clivant ? Un retour aux valeurs sûres et éprouvées ? Sans doute un peu de tout cela. Le Noir, c’est aussi une ambiance particulière, presque un état d’esprit. Il ne plait forcément pas à tout le monde, et naturellement, pas tout le temps. Des MJ m’ont dit « j’ai adoré lire le jeu mais mes joueurs ne veulent pas essayer ». Mais le jeu est là, il est finalement assez connu et je n’ai jamais eu de mal à remplir une table lorsque je l’ai proposé, typiquement aux Rencontres du club Pythagore, à Provins.

HuMu : On en sait finalement peu sur les Cornus. Le coup de l’amnésie, c’est pas un peu un truc de feignant pour ne pas à avoir à expliquer les choses ?
EG : Pas un peu, c’est exactement ça ! Je plaisante. L’autre côté n’est pas important. Ce qui importe, c’est son effet, son aura de corruption sur Heaven Harbor. Se balader de l’autre côté ou en connaitre la forme ou la géographie n’est pas utile, j’ose même dire pas intéressant de mon point de vue. Les cornus ont traversé, ils ne peuvent pas revenir en arrière, on assume ça et on se concentre sur l’effet qu’a leur présence. C’est un choix assumé. Je veux bien reconnaitre qu’il est casse gueule et possiblement frustrant. C’est aussi une façon d’appréhender le fantastique. Le fantastique qui me plait, c’est celui qui tord la réalité, de manière insidieuse, qui s’infiltre, qui pollue le réel. Le fantastique en jdr est souvent surexpliqué. Il doit être chiffré, mécanisé, calé sur une échelle de valeur comparable avec des choses plus prosaïques pour qu’on puisse l’utiliser sans déséquilibrer les rapports de force entre personnages. Rien ne me fatigue plus que cela. J’admirais le parti-pris de Maléfices, par exemple, qui disait « tout est possible, on ne va pas rentrer dans le détail de comment ceci marche ou pourquoi ça peut arriver ». Est-ce que les auteurs de Maléfices étaient fainéants ? Non, je pense qu’ils voulaient avant tout faire passer un feeling.

HuMu : Vous avez décidé de rééditer le livre de base sans rien modifier (si ce n’est d’intégrer les erratas présents dans l’écran). Considérez-vous votre jeu comme parfait en l’état ou bien étiez-vous effrayé par l’ampleur du chantier ?
EG :
Un jeu n’est jamais parfait. Mais il tourne comme il est. Si on avait repris le jeu, on aurait sans doute fait un autre jeu. C’est typiquement ce qui m’arrive avec Exil, sur lequel je travaille. Au final, si cela aboutit, cette v2 sera complétement différente de la v1. Je n’ai plus les mêmes envies, les mêmes inspirations. Il y a des aspects de l’univers que je mets en avant, d’autres que j’amoindris. Là, le jeu est tel qu’il est mais il nous satisfait. Plutôt que de partir sur un très gros projet de refonte qui pourrait finalement aboutir à quelque chose de bien différent, nous avons préféré le rendre à nouveau disponible sur sa forme première. Forme sur laquelle est basée la campagne, en plus.

HuMu : Si Hellywood est une gamme achevée, est-ce que ton duo avec Raphaël Andere va se reformer pour d’autres projets ?
EG : nous n’avons pas de projets communs pour l’instant. C’est quelqu’un qui a beaucoup de talent, j’aimerais bien le voir travailler plus en jdr, sur ses propres jeux. Comme je vous le disais, de mon côté, ce n’est de toute façon pas très clair.

HuMu : Le financement participatif est une nouveauté pour John Doe, est-ce qu’il y en aura d’autres ? Il est encore tôt mais as-tu un début de retour d’expérience ? Et le double foulancement avec les américains, est-ce une expérience appelée à se renouveler ?
EG : Je ne sais pas, en toute franchise. Ce sera sans doute le cas si, comme pour Hellywood, nous pensons que cela s’impose au niveau de la prise de risque. Les gens pensent d’ailleurs que passer par un financement participatif, cela signifie zéro risque. C’est faux : nous avons préparé les textes, commandé de nombreuses illustrations. Le bouquin existe avant d’être financé, en grande partie. C’est aussi de l’investissement. La précommande nous a permis de ne pas prendre le risque sur l’impression et d’offrir au jeu et à la campagne une forme plus luxueuse que ce nous aurions pu proposer classiquement. Nous recommencerons donc si besoin, mais là rien n’est décidé.
Sur le retour d’expérience, c’est en effet un peu tôt. On a vraiment essayé de garder le contrôle en proposant un truc lisible, avec peu d’options, avec du matériel qui reste sur ce qu’on sait faire : du texte, des illustrations chiadées et du papier. Dans l’équipe, tout le monde me dit que j’ai trop tendance à m’excuser (j’ai dû encore le faire dans cette interview), comme si j’avais honte de demander des sous aux gens. Puisqu’ils me le répètent, c’est sans doute vrai. Ce qui est sûr, c’est que j’ai du mal à faire de la retape pour mon jeu. Or, c’est un peu l’idée du financement participatif ! 

HuMu : Hellywood étant fortement influencé par une tradition littéraire, pourrait-on imaginer un roman ou une anthologie de nouvelles prenant place dans Heaven Harbor et coproduit avec un éditeur plus littéraire ?
EG : Ce serait une très bonne idée, oui. Je n’ai personnellement pas de projet en ce sens, mais ce serait très sympa.

HuMu : le genre Noir semble daté, à première vue. C’est des vieux bouquins, des films en noir et blanc, de la musique d’un autre âge… Y’a-t-il eu des films, séries télévisées, jeux vidéo, BD qui sont sortis depuis la première impression d’Hellywood et qui auraient aujourd’hui leur place dans les sources d’inspiration et démontreraient au lecteur que le hardboiled est toujours d’actualité ?

EG : Plein, oui. Le Noir est intemporel. Les histoires de flics hantés, de truands froids, de loosers magnifiques et de types qui se mettent tous seuls dans une merde noire sont éternelles. Les codes du noir et du hardboiled sont en permanence repris, mixés, adaptés au goût du jour. Rien n’oblige à singer les films des années 40 ou à aligner les clichés avec une secrétaire blonde et une voix off désabusée pour faire du Noir. Le hardboiled, je le trouve dans des films comme Sicario ou Prisonniers, tous deux de Dennis Villeneuve, dans le Drive de Nicholas Winding Refn ou dans The Town, de Ben Affleck. Dans les séries, je pense immédiatement à Banshee et son pseudo shérif bien badass, un vrai tough guy, ou au marshall de Justified face aux truands redneck d’un trou du Kentucky. True Detective, aussi, naturellement, sans compter la très bonne première saison de Bosh, adaptée des romans de Michael Connelly. En BD, le regretté Darwyn Cooke, disparu il y a quelques semaines, a magnifiquement repris les romans Parker (publié par Donald Westlake sous le pseudo de Richard Stark) et montré combien ils étaient encore d’actualité. Tu as une très bonne BD française, Tyler Cross, de Nury et Brüno, qui met en scène un tueur au cœur bien glacé comme il faut. Et Blaskad qui continue aussi. En jeu vidéo, même si ce n’était pas un chef d’œuvre, L.A Noire avait de quoi ravir les fans de films  noirs. Et Max Payne est un vrai héros hardboiled, ex-flic ayant perdu sa famille, se noyant dans l’alcool et cherchant la rédemption. Le fait que le dernier volet se passait au Brésil prouve que le Noir peut se transposer partout. Quant aux bouquins… Ellroy a entamé un nouveau cycle sur le L.A des années 40, James Lee Burke continue à publier les aventures de Dave Robicheaux, Connelly celles de Mickey Haller et de Harry Bosch et le vivier du polar réaliste et dur est très fertile. Aucun souci pour les inspis ! Sans compter que les classiques, eux, ne meurent jamais.



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